Sœur Anne-Marie Aitken appartient à la congrégation La Xavière, née il y a 100 ans, enracinée dans la spiritualité ignatienne. La caractéristique de cette congrégation est d’avoir une forme de vie religieuse structurée par la prière, par la vie communautaire et par une présence dans le monde à travers différentes insertions professionnelles extrêmement variées, dans la société et la vie de l'Église.
"Les exercices spirituels présupposent qu'il y ait quelqu'un qui désire les faire, tout comme on pourrait faire des exercices physiques, et quelqu'un qui les donne. Ils se situent au cœur d'une parole partagée entre l’accompagné et l'accompagnant, mais surtout entre l’accompagné et Dieu. Le but de ces exercices est de se mettre à l'écoute du Seigneur en lisant les Écritures et en les priant."
Sœur Anne-Marie, quelle est la place de l'écoute dans les exercices de saint Ignace ?
Saint Ignace s’est mis à l'écoute de la manière dont Dieu le conduisait et vers quoi Il le conduisait. C'est ainsi qu'il a découvert que Dieu l'appelait à « aider les âmes », selon le langage du XVIe siècle, pour qu’elles trouvent une vie en plénitude. Il a donc mis en forme les étapes par lesquelles le Seigneur l'avait conduit dans un livret d’exercices qui était extrêmement moderne pour l’époque car nous étions à la sortie du Moyen-Âge et au début de la Renaissance. Les exercices spirituels présupposent qu'il y ait quelqu'un qui désire les faire, tout comme on pourrait faire des exercices physiques, et quelqu'un qui les donne. Ils se situent au cœur d'une parole partagée entre l’accompagné et l'accompagnant, mais surtout entre l’accompagné et Dieu. Le but de ces exercices est de se mettre à l'écoute du Seigneur en lisant les Écritures et en les priant. Saint Ignace ne nous fait pas de discours sur l'écoute ; ce qu’il nous propose, c'est de vivre une expérience.
Dans ces exercices, saint Ignace nous propose deux manières de prier : la méditation, qui fait appel à notre intelligence, notre mémoire et notre cœur. Et la contemplation, qui est plus un appel aux sens et une invitation à écouter, entendre, toucher, goûter la parole de Dieu. Il nous invite à nous mettre à l'écoute des textes tels qu'ils sont et petit à petit à laisser descendre en nous cette parole, à l’écoute de ce qu’elle provoque en nous. Elle nous mène au silence et à une parole qu'on adresse à Dieu. Ce qui est original chez saint Ignace c'est qu'il nous propose de relire notre prière avec un accompagnateur pour écouter la manière dont Dieu nous a parlé et nous faire prendre conscience de ce qui se passe en nous.
"Tout l’enjeu est de repérer petit à petit ce qui se passe en moi quand je me mets à l'écoute de la parole et quel est l'esprit qui m'habite. Est-ce le Seigneur qui me conduit ou bien est-ce celui que saint Ignace appelle le mauvais esprit, l'ennemi de la nature humaine ?"
Comment discerner si nous avons écouté le Seigneur ou nous-même dans notre méditation et notre contemplation ?
Saint Ignace nous propose d'écouter ce qui se passe à l'intérieur de nous quand nous lisons un texte des Écritures ou quand nous écoutons une parole biblique. Qu'est-ce qu'elle produit en nous ? Comment m'affecte-t-elle ? C'est ce qu'on appelle les motions spirituelles, c'est-à-dire vers quoi cela me meut et me fait bouger ? Il y a des paroles qui peuvent nous conduire à aimer davantage, à sortir de nous-mêmes, à décider de faire telle ou telle chose. Et puis, il y a des paroles qui, parfois, nous font entrer en résistance et provoquent en nous un trouble, du découragement ou bien de la colère de manière durable. Tout l’enjeu est de repérer petit à petit ce qui se passe en moi quand je me mets à l'écoute de la parole et quel est l'esprit qui m'habite. Est-ce le Seigneur qui me conduit ou bien est-ce celui que saint Ignace appelle le mauvais esprit, l'ennemi de la nature humaine ? Et c'est là où l'accompagnement sera très important. Les exercices spirituels offrent une liberté intérieure qui nous renvoie à notre désir profond et à ce que nous sommes profondément, c'est-à-dire enfants bien-aimés du Père.
"L'accompagnateur n'a rien à dire sur le fond et sur la décision. Il a à écouter: Est-ce que la procédure a bien été mise en œuvre ? Et est-ce qu'elle porte du fruit ?"
Comment l’écoute vous est-elle utile dans l'accompagnement spirituel ?
L’accompagnateur écoute et entend ce que la personne dit de ce qu’elle vit et traverse. A travers un dialogue, il la guide dans l’exercice qu’elle effectue et l’aide à faire un discernement grâce à la relecture de ce qui s’est passé dans cet exercice. Il se met à l’écoute du travail du Seigneur en elle. C’est une écoute profonde qui n'est pas intrusive. Il écoute aussi ce que l'Esprit-Saint lui dit en écoutant l'autre. Il propose un processus, une manière de faire, mais l'accompagnateur n'a rien à dire sur le fond et sur la décision. Il a à écouter : est-ce que la procédure a bien été mise en œuvre ? Et est-ce qu'elle porte du fruit ? Il peut dire quelque chose à la personne en écho à ce qu’elle a dit, mais ce n'est pas lui qui fait le choix. C'est la personne qui fait l'exercice et c'est le Seigneur qui travaille en elle. L'accompagnateur est important mais il est au second plan.
Qu'est-ce qu'une bonne écoute, selon saint Ignace ?
Une bonne écoute, c'est quelqu'un qui s'oublie soi-même pour écouter l'autre et l’accueillir. C'est une écoute qui n'est pas intrusive, mais qui renvoie l'autre à sa liberté sans porter de jugement. Cette écoute est très humble pour ne pas imposer à l'autre son point de vue. L'accompagnateur va relire sa pratique d'accompagnement dans une supervision que l’on appelle aussi une co-vision. L’accompagnement est un travail collectif et, d'une certaine manière, ecclésial.