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Le carême : un temps pour reconnaître et vaincre l'acédie?




Trois questions à Dom Jean-Charles Nault, Père Abbé de l'Abbaye bénédictine Saint-Wandrille. Docteur en théologie de l'Institut Pontifical Jean-Paul II, le père Jean-Charles a reçu des mains du Cardinal Joseph Ratzinger, alors Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le premier Prix Henri de Lubac pour sa thèse de doctorat sur l’acédie, La saveur de Dieu. Il est auteur de plusieurs ouvrages dont « Le démon de midi : l'acédie, mal obscur de notre temps », paru en 2013.


Pourquoi approfondir le thème de l’acédie pendant ce temps de carême ?


Étymologiquement, l’acédie est le fait de « manquer de soin » pour son salut et pour sa vie spirituelle. Or le carême est le temps de grâce qui nous est donné pour accueillir le Salut donné en Jésus Christ. L’acédie est une forme de sécularisation, une paresse spirituelle, traduite par un dégoût des choses divines : en réponse, le carême nous offre l'opportunité de nous convertir, de raviver notre zèle pour les choses de Dieu, d’entrer dans le mystère pascal, si central pour notre foi.


Qu’est ce qui caractérise l’acédie ?

Autrefois intégrée aux péchés capitaux, l’acédie a été évincée de cette liste pour des raisons numériques, réduisant le nombre des péchés capitaux à sept. Cette omission reflète une mécompréhension de l'acédie, souvent vue comme une tentation strictement monastique. Pourtant, la lutte contre l'acédie concerne tous les chrétiens, appelés à la vie spirituelle et au salut. Après des siècles d'oubli, il devient évident que ce péché, à la fois subtil et difficile à identifier, représente un défi majeur dans le combat spirituel. C’est d’ailleurs sûrement une tactique du démon d’avoir réussi à le faire oublier si longtemps. Evagre le Pontique, l’un des Pères du désert, nous avertit que l’un des drames de l’acédie, c’est que la personne touchée ne s’en rend pas compte.

 

Parmi les péchés capitaux, l’acédie, qui a la spécificité de toucher à la fois l’esprit et le corps, comprend deux dimensions :

 

  • Sur le plan spatial, elle se manifeste par un sentiment d'étroitesse, où l'individu se sent oppressé par son environnement immédiat, nourrissant l'illusion que la situation est plus favorable ailleurs. Cet aspect résonne particulièrement dans nos communautés, lorsqu’on a l’impression que la paroisse d’à côté est mieux, qu’on va pas tenir dans ce lieu, qu’il s’agisse d’ailleurs d’un lieu géographique ou d’un « lieu de vie » : le travail, le couple, l’environnement paroissial…  

  • La dimension temporelle de l'acédie, surnommée "le démon de midi", renvoie à une période de crise existentielle. Au milieu du jour, le soleil est au zénith, il n’y a plus d’ombre : on a l’impression d’un temps mort, il fait chaud…  On éprouve alors de la difficulté à persévérer, un phénomène particulièrement prégnant de nos jours, où l'on observe une tendance générale à la difficulté de maintenir des engagements sur le long terme.


"La lutte contre l'acédie concerne tous les chrétiens, appelés à la vie spirituelle et au salut."
Comment les paroisses et communautés peuvent-elles se prémunir contre ce phénomène ?

Pour lutter contre l'acédie, un phénomène qui peut affecter non seulement les individus mais également les communautés dans leur ensemble, il est d’abord essentiel de reconnaître ses manifestations.

 

D'après Evagre le Pontique, ce mal se manifeste à travers divers symptômes tels que l'instabilité, la préoccupation excessive pour le confort personnel, le dégoût de la vie quotidienne, la difficulté dans la prière, et une désespérance généralisée.

 

Cinq remèdes simples donnés par les Pères du Désert peuvent être inspirants pour le Carême :

 

  • Les larmes : reconnaître et accepter son impuissance et sa faiblesse devant Dieu, avec la conviction que nous serons délivrés. Une manière de percer notre carapace, et de nous laisser transformer : « J’enlèverai votre cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair » écrit Ézéchiel.

  • L'hygiène de vie : se donner des petites règles de vie concrètes pour retrouver un équilibre qui intègre la dimension spirituelle, le travail, la détente, la vie familiale…

  • La méthode antirhétique : utiliser la parole de Dieu pour contrer les tentations, comme l’a fait Jésus dans le désert, répondant à chaque tentation par une parole. Concrètement, il s’agit de lire et méditer la parole de Dieu en se demandant comment ces paroles de vie peuvent devenir des flèches pour lutter dans notre combat spirituel.  

  • La pensée de la mort : sans tomber dans le morbide, se rappeler le but ultime de notre existence et la perspective de la vie éternelle. Cela aide à relativiser les difficultés actuelles en les mettant en perspective avec la promesse de la gloire future, renouvelant ainsi notre désir du ciel et de la vie éternelle.

  • La persévérance : garder la foi et la patience, même dans les moments de désespoir. Se tenir fermement aux engagements spirituels et aux pratiques quotidiennes, en gardant à l'esprit que l'état de désolation traversé est temporaire et sera suivi par une paix et une joie profondes une fois le mal vaincu.


Alors que le carême nous appelle à la conversion, la lutte contre l'acédie est un chemin de transformation profonde qui nous permet de redécouvrir le goût du ciel, et de marcher avec persévérance vers la sainteté.




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