
Entretien avec sœur Nathalie Becquart, religieuse xavière et sous-secrétaire du synode des évêques.
Le synode a fait tout un chemin d'écoute et de discernement pour donner des pistes et des orientations. On ne peut pas mettre en œuvre la synodalité exactement de la même manière partout dans le monde. Elle doit s’adapter de manière locale en fonction des cultures et situations. Chaque communauté ecclésiale est invitée à discerner ses priorités et sa mise en œuvre étape par étape.
"La mission de l'Église c’est d'aider chacun à rencontrer le Christ, à renforcer sa relation avec Dieu et en même temps d'aider les hommes à vivre une communion fraternelle."
Une Église plus missionnaire
Le premier enjeu de la synodalité, c’est une Église plus missionnaire. Nous devons nous interroger sur ce dont nous avons besoin pour être plus missionnaire et comment le faire de manière plus participative en écoutant les personnes, en particulier les plus pauvres. C’est ce que l'on appelle une lecture des signes des temps. Un théologien australien, Ormond Rush, disait “La synodalité, c'est le Concile Vatican II en un mot.” Mettre en œuvre la synodalité c’est poursuivre la réception du Concile Vatican II, dont tous les papes, depuis le Concile, ont dit qu’il était la boussole pour l'Église aujourd'hui. La mission de l'Église c’est d'aider chacun à rencontrer le Christ, à renforcer sa relation avec Dieu, et en même temps d'aider les hommes à vivre une communion fraternelle. “Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi, afin qu'eux aussi soient un en nous, pour que le monde croie que tu m'as envoyé.” Jean 17 : 21. Servir la mission de l'Église, c'est servir ces processus qui vont renforcer l'amour et le service des autres, l’unité du genre humain. Après le synode des jeunes, dans son exhortation post-synodale Christus vivit, le pape François avait écrit que la pastorale des jeunes devait être synodale, missionnaire et populaire, dans le sens pour tous, et pas simplement pour une petite élite de jeunes. Avec ce synode, on comprend que cet enjeu n'est pas simplement pour la pastorale des jeunes mais pour toute la pastorale.
Depuis l'origine, dans sa nature divine, l'Église ne change pas, mais dans sa nature humaine et historique, dans des contextes et un monde qui changent, elle doit forcément évoluer. On ne peut pas proclamer l'Évangile de la même manière en Chine, au Brésil et en France. Tout comme il n’a pas pu être proclamé exactement de la même manière, au Moyen Âge, à la Renaissance ou au XIXᵉ siècle. La vision synodale, c'est une vision dynamique de l'identité de l'Église et de l'identité des chrétiens qui prend en compte la réalité de l’Incarnation et donc la dimension de l’histoire. Nous évoluons tous au fur et à mesure. Pour rester nous-même, il nous faut aussi changer selon les contextes.
"Une prise de décision synodale vise à prendre des décisions en discernant ce que l’Esprit nous dit. Cela passe par l'écoute de tous, en particulier ceux qui ont peut-être le moins de voix ou les plus pauvres, la consultation et le discernement en commun, car l’Esprit peut parler à travers chacun."
Discerner pour porter du fruit dans la mission
Le deuxième enjeu, qui est un des plus importants, c'est une nouvelle manière de prendre des décisions qui associe le plus grand nombre. La transformation missionnaire est d'abord basée sur la conversion des relations. Que l’on soit cardinal ou jeune adulte, il nous faut soigner les relations dans l’Église, comme des relations de fraternité, de frère et sœur en Christ. Le document final rappelle qu’au titre du baptême, nous avons tous une égale dignité et sommes tous appelés à être disciples missionnaires. Cela passe par une conversion personnelle et une conversion de nos communautés, de nos manières de vivre les relations, et aussi en particulier les processus de prise de décisions. “Le discernement est d’autant plus riche que tous sont entendus. C’est pourquoi il est essentiel de promouvoir une large participation aux processus de discernement, en veillant tout particulièrement à l’implication des personnes en marge de la communauté chrétienne et de la société.” Partie III du document final du synode sur la synodalité. On peut dire que la synodalité, c'est une nouvelle manière de prendre des décisions, non pas d'une manière uniquement personnelle, “top down” et autoritaire. Une prise de décision synodale vise à prendre des décisions en discernant ce que l’Esprit nous dit. Cela passe par l'écoute de tous, en particulier ceux qui ont peut-être le moins de voix ou les plus pauvres, la consultation et le discernement en commun, car l’Esprit peut parler à travers chacun. Dans le monde de l'entreprise et dans toutes les organisations, on sera toujours meilleurs si l’on analyse les situations à plusieurs car chacun a ses filtres. Le discernement est une nouvelle manière de décider. Cela nous invite, et c'est un très grand enjeu, à exercer le leadership, la responsabilité, le ministère, dans un style synodal. Être un leader synodal c’est laisser l’Esprit Saint être le vrai leader, cela demande à chacun de se décentrer pour mettre l’Esprit au centre.
La synodalité ne supprime pas la dimension hiérarchique, mais elle articule les deux. Dans une Église synodale, l'évêque reste évêque et le curé reste curé. Il y a un énorme besoin de formation pour exercer une autorité ou une responsabilité qui appelle beaucoup plus au travail en équipe, et à exercer le leadership comme un vrai service qui fasse grandir les autres en utilisant le discernement et la collaboration. Il faut former tous les baptisés dans une vision qui est une formation permanente, intégrale pour tous. Chacun doit être acteur de la mission et des communautés missionnaires dans lesquelles il vit.
"Un évêque ou un prêtre seul ne peut rien faire. L’enjeu de la formation permanente et intégrale pour tous est extrêmement important. Nous sommes tous coresponsables de la mission de l'Église, chacun avec ses charismes et sa vocation, sa responsabilité propre ou son ministère. C’est pourquoi nous parlons de “coresponsabilité différenciée”."
Tous coresponsables
Nous sommes tous appelés à porter la mission de l'Église ensemble. Un évêque ou un prêtre seul ne peut rien faire. L’enjeu de la formation permanente et intégrale pour tous est extrêmement important. Nous sommes tous coresponsables de la mission de l'Église, chacun avec ses charismes et sa vocation, sa responsabilité propre ou son ministère. C’est pourquoi nous parlons de “coresponsabilité différenciée”. Tous les baptisés ont un rôle à jouer et doivent discerner comment être partie prenante d'un synode dont le pape appelle à poursuivre la mise œuvre dans les églises locales.
“En vertu du baptême, les hommes et les femmes jouissent d’une égale dignité dans le peuple de Dieu. Cependant, les femmes continuent à rencontrer des obstacles pour obtenir une reconnaissance plus pleine de leurs charismes, de leur vocation et de leur place dans les diverses sphères de la vie de l’Église, ce qui nuit au service de la mission commune.” Partie II du document final du synode sur la synodalité. Nous sommes issus de sociétés patriarcales et il y a un appel très fort, qui n'a cessé de se développer à travers le synode, à inclure davantage les femmes à tous les niveaux de l'Église, notamment dans sa gouvernance. C'est un enjeu très important aujourd'hui. Le pape François nomme de plus en plus de femmes en responsabilité au Vatican, il faut que cela soit à tous les niveaux de l'Église. Nous sommes déjà pas mal avancés en France, mais ce n'est pas fini.
Les études montrent que des équipes de gouvernance mélangeant des hommes et des femmes seront toujours meilleures, grâce à la diversité de perspectives que cela apporte. C'est très intéressant de voir ce qui est en train de se développer en France. Il y a maintenant une vingtaine de diocèses qui développent un nouveau modèle de gouvernance avec, aux côtés du vicaire général, un laïc délégué général. Il s’agit souvent d’une femme. Un premier évêque a fait une expérimentation et d’autres ont suivi. C’est par l’expérimentation que les choses changent progressivement.