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Écoute ... tu parviendras



Entretien croisé avec Mère Marie Élie Hancock Prieure générale des Bénédictines

du Sacré-Coeur de Montmartre, et Dom Xavier Batllo, moine bénédictin de l'Abbaye Saint-Pierre de Solesmes.


"La première phrase du prologue de la Règle de Saint Benoît, c'est : “Écoute mon fils, les préceptes du maître, prête l'oreille de ton cœur.”(...) Il est intéressant de constater que le dernier mot de la Règle est “tu parviendras”. "

Quelle est la place de l’écoute dans la Règle et la spiritualité bénédictine ?


La première phrase du prologue de la Règle de Saint Benoît, c'est : “Écoute mon fils, les préceptes du maître, prête l'oreille de ton cœur.” “Le mot “écoute” vient du latin ausculta qui veut dire tendre l'oreille, pencher l'oreille, écouter attentivement. Il invite la personne à rentrer au plus profond d’elle-même. Il est intéressant de constater que le dernier mot de la Règle est “tu parviendras”. L’écoute est au cœur de la vie bénédictine, c’est par elle que nous serons amenés à rejoindre le Christ et la vie éternelle.” explique Dom Xavier Batllo. “Un thème très cher à Saint-Benoît est celui de la docibilitas, qui est la capacité à se laisser enseigner par l’écoute du cœur. Quand un moine ou une moniale frappe à la porte du monastère, une des choses qu'on va vérifier pendant le temps du postulat, c'est la qualité de cette écoute du cœur, cette capacité à se laisser enseigner par les professeurs, mais aussi par la vie et par les événements. Cette écoute du cœur va nous permettre de voir comment l'Esprit-Saint va nous faire agir et va nous faire vivre notre vie consacrée.” ajoute mère Marie Elie. 


Dom Xavier, reçoit-on une formation à l’écoute lorsque l’on devient bénédictin ? 


Le monastère est une école d’écoute authentique dans une vie fraternelle et communautaire avec des moments d'échange et d’écoute de l’autre. L’atmosphère de silence du monastère nous permet d’entendre Dieu qui parle dans notre cœur. Nous avons au moins une demi-heure d'oraison par jour où l’on est pleinement en silence devant Dieu et où l’on essaye de percevoir ce qu’Il veut nous dire au plus profond de notre cœur. L'autre lieu qui m'a profondément marqué dans mon écoute, c'est le contact avec mon père spirituel : on arrive, on demande quelque chose et on écoute. On écoute ce qui est une parole de vie libératrice qui vient enrichir notre cœur. Ça rejoint un peu la grande disposition fondamentale des pères du désert : “Dis-moi une parole et je serai sauvé.” 


Mère Marie Elie, comment l’écoute vous est-elle utile dans votre rôle de prieure générale d’une communauté ?


Mon premier rôle d'écoute est auprès des sœurs prieures pour les soutenir et les aider à résoudre les difficultés relationnelles et opérationnelles qu'elles peuvent rencontrer dans leurs communautés. Une grande partie de mon travail d'écoute ce sont les visites canoniques dans notre Règle de vie, je dois visiter les prieurés une fois tous les trois ans. Dans ces visites, j’écoute avec mes oreilles dans les entretiens que j'ai avec chaque sœur, le recteur et l'évêque local mais j’écoute également avec le cœur. Je suis à l'écoute de tout ce qui se vit : la manière dont l’office est chanté, les silences des sœurs dans les entretiens… Mais je suis surtout, en premier lieu, à l'écoute de l'Esprit-Saint. 


J’ai eu la grâce dans ma jeunesse de faire beaucoup de voile. Quand on skippe un voilier, on est à l'écoute du vent, on ajuste les voiles pour le capter au mieux et on n’utilise pas la même technique lorsque c'est le calme plat ou la tempête. Cette expérience que j'ai vécue en voile, je l'applique aussi dans ma vie spirituelle en me disant : Comment est-ce que je peux m'ajuster ? Comment est-ce que le capitaine, le Seigneur, pilote le bateau car il sait où Il veut amener la congrégation ? En bon matelot, j’essaye au maximum de saisir, d'être à l'écoute de la voix du Saint-Esprit, pour pouvoir discerner où Il veut nous conduire.



Au sujet du discernement, Mère Marie Elie, comment savoir si un discernement est juste ?


Un grand critère, c'est la paix. Si, quand on a pris une décision, on est en paix, c'est un bon signe. Dans la tradition ignatienne, on va parler de confirmation de discernement. Ce que j’expérimente dans ma pratique de gouvernance avec le conseil général, c’est qu’il nous arrive parfois de prendre une décision avant d'aller à la messe, et pendant la messe, de ressentir intérieurement que ce n’est pas la bonne décision car nous ne sommes pas en paix. Je suis très attentive à ce que pendant le conseil général, nous ayons des moments de prière entre nos séances de travail pour permettre à l'Esprit-Saint de venir, soit conforter les décisions que nous avons prises, soit nous confronter en nous disant : “Non, ce n'est pas ce qu'il faut faire”. 


Dom Xavier, auriez-vous un conseil pour apprendre à bien écouter ?


Je peux vous prodiguer un conseil que je donne parfois à des gens que je rencontre qui veulent parler à un moine. C'est plutôt un conseil que je donne pour approfondir sa vie de prière et d'oraison, mais je pense que c'est valable aussi pour approfondir l'écoute. Tous les jours, restez en silence pendant cinq minutes en coupant votre portable. Et si un jour, par exemple, vous avez une bouffée de ferveur et vous vous dites : “je vais faire un quart d'heure”, surtout pas ! Restez cinq minutes pour bien tenir dans la durée car tout est dans la régularité. Ce temps de silence permet de créer dans ma vie un espace, un petit sanctuaire dans ma journée où je vais me mettre à l'écoute de Dieu qui, je pense, peut être une bonne école pour ensuite se mettre authentiquement à l'écoute de l'autre.


"Il nous faut faire don de notre temps pour que l'autre puisse s'exprimer."

Mère Marie Elie, comment l’écoute vous sert-elle à remédier à des problèmes ?


Dans la formation à l’Institut Talenthéo, j'ai pris conscience qu'il faut apprendre à écouter. Il y a une différence entre entendre et écouter, ce qu'on appellera plus une écoute active. Et ça, j'ai appris à le faire à l'Institut : écouter à la fois ce qui est dit et les non-dits au travers des silences et des sous-entendus. Il faut parfois laisser la personne s'exprimer jusqu'au bout en l’écoutant avec empathie sans l'interrompre, sans rechercher des solutions. Les techniques apprises à l’Institut comme la reformulation ou le questionnement, font qu'on entre dans une écoute qui est d'une plus grande qualité. 


Je fais moi-même l’expérience d’être écoutée dans l'accompagnement spirituel et j’ai souvent l'impression d'être la seule personne au monde qui existe à ce moment-là, tellement la qualité de l'écoute de la personne est grande. J'essaie de tout mettre en place pour pouvoir offrir ça aussi à mes sœurs. Je souhaite qu'elles trouvent une vraie écoute de qualité qui, finalement, fait comprendre à l'autre qu'elle a du prix et que je m'intéresse à elle. 


Si je prends le parallèle dans la vie de famille, c'est la différence entre une mère de famille qui va dire à son enfant : “Oui, chéri, je t'écoute.”, tout en faisant la vaisselle et le moment où elle s'assoit avec lui dans le canapé en disant : “Je t’écoute, raconte-moi ta journée.” et qu'elle est toute à lui, il est le seul au monde. Écouter c’est donner du temps gratuitement à l’autre et on y est tous sensibles. Si on veut vraiment bien écouter, à un moment donné, il nous faut renoncer à cette soif d'efficacité qui est très présente dans notre monde. Je pense que la première chose à faire c’est de dégager du temps et d'accepter d’en perdre en quelque sorte. Il nous faut faire don de notre temps pour que l'autre puisse s'exprimer.

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